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Essai de Rhéaume Laliberté pour l'obtention de son troisième dan Quand en 1967, à l'âge de dix-sept ans, j'ai quitté la maison pour aller au collège, j'avais tellement peur de l'échec que je me suis tourné vers l'école technique: électricité-électronique. Je me suis dit: "et si je ne réussis pas au collège", l'école technique étant de niveau inférieur j'étais convaincu que je ne pouvais pas rater. Étant le quatrième d'une famille de onze enfants, je n'étais pas confiant en la vie, ni confiant en mes capacités. Un jour, un de mes amis qui faisait du jogging trois fois par semaine m'expliquait qu'il devait se mettre en forme pour ses cours de judo. Je me suis inscrit au judo. Et ce, même si le simple fait d'être pieds nus et en kimono a failli m'en décourager. J'ai quand même participé aux cours, si bien que pour trois années, dont les deux dernières à une fréquence de quatre à cinq fois par semaine, je pratiquais un judo axé principalement sur la compétition. Mon professeur, Gaby Pinto Sensei, était très bon pédagogue et savait nous donner le goût de nous améliorer. À la fin de ces trois années, je savais que si j'étais devenu un meilleur judoka qu'à mes débuts, c'était dû aux heures de pratiques que j'y avais mis. Puis en juin 1970, J'ai dû quitter Rouyn-Noranda pour Hull afin de travailler comme technicien à Bell Canada. J'ai consacré tous mes efforts à mon travail que je trouvais très exigeant. Je ne pouvais, ni ne voulais pratiquer le judo puisque mon travail prenait toutes mes énergies. Je ne pouvais donc pas améliorer mon sort puisque j'étais venu à penser que je ne pouvais pas faire autre chose, qu'il était trop tard dans mon cas et que je n'avais plus les capacités mentales pour retourner aux études. De toute façon, je me trouvais bien chanceux d'être condamné à travailler comme technicien même si ce travail ne me convenait plus. J'étais ainsi destiné à suivre et répéter le "patern" familial déjà tracé et de ne pas en sortir. Je suis devenu frustré par ma situation au travail et j'ai alors décidé de m'impliquer dans le Syndicat pour tenter d'améliorer le sort des travailleurs sans perdre ma sécurité d'emplois. Un jour, j'ai vu dans une revue qu'il y avait des cours de judo au Collège de l'Outaouais. C'était à l'été 1978. Je me suis inscrit à ces cours, mais comme il n'y avait pas assez d'inscription, le cours a été annulé. On m'a invité à participer aux cours d'aikido. Ne connaissant pas l'aikido, cette idée ne m'intéressait pas tellement. J'ai quand même décidé de m'inscrire. Cette décision allait changer toute ma vie. Les cours étaient le mardi et le jeudi. Sans savoir exactement pourquoi, j'étais assez régulier. Je constatais qu'il y avait certains mouvements et certaines techniques qui ressemblaient au judo. L'aspect non compétitif de l'aikido faisait en sorte que je pouvais mieux répéter les techniques avant de les mettre à l'épreuve en randori. Cela me donnait tout le temps nécessaire pour les polir jusqu'à ce qu'elles fassent littéralement partie de moi. Jusqu'à ce qu'elles deviennent une réaction instinctive face à une situation donnée. Ce n'est que beaucoup plus tard que je me suis rendu compte de cette réalité. J'y travaille encore après vingt et un ans (21) de pratique. Puis vint mai 1979, ma première semaine d'entraînement intensif: Cinq heures par jour d'entraînement durant 7 jours. Je n'avais jamais vu cela. J'ai participé à mon premier camp et là j'ai vraiment vu que mon professeur, Patrick Augé Sensei, avait beaucoup plus à nous enseigner que ce que j'avais vu durant ma première année d'entraînement. J'ai appris qu'il allait se perfectionner au Japon à tous les étés, qu'il avait vécu avec un grand maître pendant sept ans et qu'il avait appris le Budo. J'ai compris qu'il était disposé à nous enseigner ce qu'il connaissait si nous étions disposés à apprendre. C'est ainsi que d'année en année, j'ai toujours continué à pratiquer l'aikido. Je savais que grâce à celà, mon niveau de confiance en moi et en la vie augmentait et que la vie dans son quotidien était plus facile. Je voyais que pour le même travail, j'étais moins fatigué et que dans mon implication syndicale, j'étais plus efficace et plus fonceur. J'obtenais assez de reconnaissance des travailleurs que je suis devenu le délégué en chef, le responsable des griefs, le trésorier et enfin le président de ma section locale. Elle comprenait trois cent cinquante techniciens et une soixantaine de téléphonistes. Pendant tout ce temps, je pratiquais l'aikido et quand Patrick Augé Sensei était disponible, je lui posais beaucoup de questions sur la philosophie du Budo qu'il nous enseignait et qu'il pratiquait lui-même. Je me rendais compte que dans ma vie, je mettais en pratique certains principes qu'il nous enseignait, mais que d'autres étaient beaucoup plus difficiles à appliquer dans le contexte dans lequel j'évoluais. Comment concilier "respect de l'être humain" avec le congédiement d'un père de famille? Et ce, simplement parce-qu'il avait fait monter son fils de dix ans dans le camion de la compagnie pour l'amener à l'école. Comment concilier "entraide et prospérité mutuelle" avec les politiques du "chacun pour soi" et du "poignard dans le dos" pratiquées à outrance dans le monde patronale et syndicale nord-américain? Comment vivre finalement sans avoir à concilier tous ces contrastes et toutes ces ambiguïtés avec lesquels nous devons composer chaque jour? Un jour, peut-être, je parviendrai à comprendre le sens de "MIZU NO KOKORO" (l'Esprit de l'eau) enseigné dans le Budo! Bien que j'aie beaucoup à améliorer, j'ai connu une certaine progression en ce qui concerne la confiance en moi et en mes capacités. Lorsque la situation s'est présenté et que j'étais accepté à l'Université en Droit en septembre 1984, j'étais déjà premier dan en aikido et ma coordination physique et mentale s'était de beaucoup améliorée. J'étais confiant, plus discipliné, et je savais qu'en y mettant l'effort nécessaire, je pouvais réussir. J'affrontais mes échecs comme des occasions de grandir et j'ai conservé cette attitude jusqu'à ma réussite et l'obtention de mon diplôme universitaire en droit notarial. Aujourd'hui, je suis propriétaire de mon étude. Depuis 1989, je pratique le droit notarial à Hull. Avec un certain succès, je dois l'avouer, même si la réussite est toujours un objectif à atteindre. La pratique de l'aikido et du Budo m'a fait aussi côtoyer des professeurs, des avocats, des ingénieurs, des médecins, des informaticiens, des gardiens de prisons et des techniciens. Des gens que je n'aurais pas connus! Des gens qui, à leur façon, m'ont beaucoup appris. C'est au contact d'un ingénieur que j'ai connu au dojo que j'ai su que je pouvais m'inscrire en Droit à l'Université d'Ottawa et finalement faire ce que j'aime: la pratique du notariat. Et c'est au contact d'un professeur d'anglais avec qui je pratiquais que j'ai découvert, d'une façon plus concrète, que je pouvais changer ma vie. C'est grâce à la pratique de l'aikido si j'y suis parvenu. C'est grâce au contact de mon professeur d'aikido, pour qui le respect des gens est sans compromis, que j'ai eu assez confiance en moi pour passer à l'action. Aujourd'hui, je pratique l'aikido et le Budo pour rester en équilibre et aider les autres. Si les hauts de la vie sont moins hauts, les bas aussi sont moins bas. Les différentes étapes de la vie, soit la trentaine, quarantaine et la cinquantaine n'ont pas eu d'impacts négatifs sur ma vie. Je peux continuer à pratiquer un art martial que j'aime beaucoup. Un art martial qui m'aide à mieux vivre dans un environnement favorisant l'estime de soi, valorisant l'effort et le respect. En somme, le plus gros changement que la pratique de l'aikido et le Budo ont eu sur ma vie c'est que, sans que je m'en rende compte, ils en sont venus à faire partie intégrante de ma vie. Ce qui fait en sorte qu'aujourd'hui je gère mieux les situations stressantes en dépensant moins d'énergie mentalement et en ayant moins de souffrances inutiles. Je crois qu'indépendamment du fait que la pratique de l'aikido m'ait aidé à améliorer mon sort sur tous les plans, c'est sur le plan de la confiance en moi qu'elle m'a rendu le plus grand service. Rhéaume Laliberté |