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Essais de Patrick Auge Sensei Shihan - Essais de ceintures noires - Autres essais

Le 12 décembre 2009

Chers élèves, chers parents, chers amis :

Ces cinq dernières années furent de plus en plus difficiles pour nous tous. J’ai été témoin de plusieurs crises, dans plusieurs pays ; ce qui m’a particulièrement impressionné c’est l’effet de ces crises sur les gens, les conséquences qui en résultent sur leur vie et leurs relations. Nous sommes profondément convaincus que plusieurs décennies d’étude et d’entraînement de budō nous apporteraient sérénité et paix de l’esprit, mais cela est rarement le cas, surtout en ce qui concerne ceux d’entre nous qui ne se sont concentrés que sur l’aspect technique et ont négligé le développement de leur caractère. Il nous est facile de perdre notre vision et de prendre des décisions irréversibles qui nous mettront dans l’impossibilité de retrouver plus tard cette vision.

L’enseigne sur la façade de l’ancien Yōseikan Hombu Dōjō au Japon disait samurai gakkō (École de Samouraï.) Les trois qualités requises du samouraï qu’il devait cultiver étaient : le Devoir, la Loyauté, le Courage. Mises ensemble, ces trois qualités constituent l’honneur qui s’exprime par cette profonde confiance intérieure que nous vivons selon nos principes, respectons nos parents, nos professeurs, maintenons la lignée pour les générations à venir, gérons les conséquences de nos décisions, bonnes ou mauvaises, et gardons constamment notre vision de ce qui est important, quoi qu’il arrive.

Seikun.jpgAvec la technologie moderne et son accent sur la commodité et la rapidité se sont ensuivies l’indifférence pour les valeurs morales, puis leur détérioration. Maître Mochizuki croyait en l’importance de l’enseignement des valeurs et de la morale dès l’enfance afin de permettre aux adultes de les utiliser dans leur vie quotidienne. Dans ce but il produisit une version simplifiée du Seikun de l’Empereur Meiji – ensemble de principes moraux écrits par celui-ci, contiguë à la crise de la période de restauration de l’ère Meiji afin d’inspirer le peuple japonais. Maître Mochizuki l’appela Budō Shōnen no Yakusoku (la Promesse du Jeune Elève de Budō.) Avant la fin de chaque classe, les enfants récitaient la Promesse après le maître, puis devaient l’expliquer et en discuter. Dans le cas des enfants, il faut commencer par la mémorisation. La compréhension viendra avec l’exposition et la pratique régulières. Les enfants ont un sens naturel pour la justice ; c’est la raison pour laquelle il est si important de les éduquer lorsque ce sens est encore frais.

Après avoir enseigné aux enfants et aux adultes pendant trente ans, j’en vins à cette conclusion. Aux enfants, je leur enseignais comment se comporter en classe et les corrigeais si cela était nécessaire, dans l’espoir qu’ils finiraient par appliquer ces enseignements à la maison et à l’école. Pour ce qui est des adultes, nous avons des mondo (périodes de questions et réponses) réguliers le samedi de même que pendant les gasshuku (camps d’entraînement intensif.) La plupart des gens montre d’abord de la réticence à penser et à parler de sujets abstraits, mais avec l’exposition et la pratique il est possible de développer ce genre d’habileté. Cependant je me rendis aussi compte que chez beaucoup d’adultes cela avait tourné en une sorte de jeu intellectuel et que les enseignements vraiment importants entraient par une oreille et sortaient par l’autre et n’avaient ainsi plus rien à voir avec leur entraînement. Ceci devient évident en temps de crise : ce que nous avons vraiment appris et pratiqué ressort lorsque nous sommes sous tension.

Pour cette raison, nous, les professeurs du Yōseikan-Seifukai étudions avec les enfants la Promesse du Jeune Elève de Budō. Lors du vivant de Maître Mochizuki et alors qu’il vivait au dōjō, nous comptions tous sur lui pour recevoir des directives. Cependant après son décès, certains monjin (élèves) qui, ou bien apportaient peu d’importance à ses enseignements, ou bien ne les comprenaient pas, décidèrent de les abandonner et de faire les choses à leur façon. Il devint évident pour certains d’entre nous que le Yōseikan était une école en voie d’extinction et qu’il nous fallait re-évaluer nos priorités afin de permettre à quelqu’un de la prochaine génération de reprendre et de continuer à développer ces enseignements.

A cet effet nous eûmes une réunion de Shihan (maîtres) au printemps dernier au siège du Seifukai Hombu à Shizuoka, au Japon, sous la direction de Maître Tetsuma Mochizuki, second fils de Maître Mochizuki. Lors de cette réunion, je fus nommé directeur des opérations d’outre-mer. Mon rôle consiste à faciliter les communications entre le Japon et les autres pays et à faire des recommandations. La plupart d’entre nous avons commencé notre carrière de budō dans notre jeunesse et sommes restés loyaux à nos professeurs et à leurs enseignements. C’est la raison pour laquelle nous sommes conscients de l’importance d’initier les enfants de bonne heure et avons pris l’engagement de dédier nos ressources et notre énergie au développement de la prochaine génération.

Maître Mochizuki insistait constamment sur l’importance des bases. La plupart des gens lorsqu’ils manquent de supervision ont tendance à chercher à apprendre de nouvelles techniques ou à répéter celles qu’ils ont déjà apprises ad nauseam. Peut-être ont-ils appris les bases il y a longtemps, mais ils ne les pratiquent plus et ne les enseignent plus, ce qui fait que leur aïkido ressemble de plus en plus à du kakutogi (arts martiaux mélangés) ou à une danse maladroite. Cela se détériorera avec chaque génération au point de perdre tout lien avec les enseignements originels. C’est ce qui arrive lorsque élèves ou professeurs décident de faire les choses à leur manière afin d’accommoder leurs besoins personnels. Pour cette raison nous devons maintenir la lignée ! Si nous comprenons vraiment ce à quoi nous nous engageons, il n’y a aucun sacrifice à faire, seulement des réajustements. Afin de comprendre, il nous faut pratiquer et enseigner les bases avec un esprit de recherche. La compréhension naît de l’action.

Le même principe s’applique à forger l’esprit (seishin tanren.) Si dans la vie quotidienne nous nous entraînons à gérer des difficultés mineures, nous nous préparons alors à gérer de plus grandes difficultés. Ainsi chaque petit fait qui se produit devient une chance de faire du budō : Les situations désagréables nous entraînent à accepter l’inconfort et à développer patience et tolérance, tandis que les situations agréables nous entraînent à développer la gratitude. Une chose est certaine, c’est que la vie nous apporte plus de ce que nous ne voulons pas avoir que de ce que nous voulons avoir. D’où l’importance de nous forger l’esprit, tôt dans la jeunesse. Donnons cette chance à nos enfants afin que, devenus adultes, ils puissent vivre avec la paix de l’esprit, dans le calme et l’honneur.

Puissiez vous continuer à vous développer et que l’année 2010 vous apporte de nouvelles possibilités d’agir ainsi.

Kaoru Sensei et moi faisons le vœu de continuer à enseigner ceux qui possèdent un désir inconditionnel d’étudier et de vivre selon les enseignements de Maître Mochizuki.

Je passe les fêtes du nouvel an avec ma famille en France. Mes parents sont âgés et apprécient notre mission. Je leur dédie cette période de l’année. Je vais aussi rencontrer mon premier professeur, Maître Michel Bourgoin qui fut mon mentor durant mon adolescence et me prépara à étudier sous Maître Mochizuki.

Veuillez trouver ci-dessous le lien avec le match historique aux troisièmes championnats du monde de judo en 1961, entre M. Anton Geesink et M. Michel Bourgoin, que je voudrais partager avec vous. Geesink gagna le match et après cela il remercia mon professeur de lui avoir crevé un furoncle douloureux, ce qui lui permit de gagner le championnat et de devenir le premier champion du monde de judo occidental.

http://www.youtube.com/watch?v=jH5CGOJyg4g

 

Patrick Augé